Où est Charlie ?

7 janvier 2015 : massacre à Charlie Hebdo. Cela fait deux ans aujourd’hui.

Vous ne m’entendrez pas dire : “Deux ans, déjà ?”. Je ne suis pas de ceux qui pensent que ça passe vite. Au contraire, je les ai trouvées bien longues ces deux années. Quelles réponses a-t-on su apporter en deux ans ? Quelle solutions propose-t-on aujourd’hui contre la bêtise humaine ?

Pour se battre contre le terrorisme, certains préconisent des bombardements (plutôt à l’international, personne n’a été assez fou pour recommander sérieusement (!) l’usage du lance-roquettes en France). Je suis loin d’être compétent et de toute façon, on se fiche bien de mon avis sur la question, mais je croyais tout de même qu’on s’était aperçu depuis des lustres de l’inutilité de ce genre de méthode (lire ou relire Howard Zinn). En France, on s’aperçoit que des choses ont changé : la présence policière est renforcée, on nous organise des séances de fouilles (succinctes) à l’entrée des musées ou des magasins ; on ferme désormais les portails des écoles (ha ha ! Ils seront bien embêtés les terroristes, s’ils doivent passer au dessus de la grille !), etc.

Encore une fois, je ne suis pas assez fortiche pour prendre des positions pour ou contre ces mesures-là. J’ai une part d’admiration pour ceux (“anonymes” comme moi, c’est à dire simples citoyens) qui savent/osent partager et développer leurs avis sur ces sujets importants en publiant des articles sur leurs blogs ou ailleurs. Moi, en dehors du cercle privé où je me lance parfois, j’ai l’impression, sur FB par exemple, d’osciller entre deux positions : j’opine ou j’opine pas. Je like ou je ne like pas.

Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme.

Je sais bien, mais je n’ose pas. J’voudrais bien… 

Alors bien sûr, c’est encore plus facile de ne parler de rien, mais je ne peux m’y résoudre complètement. Contre ce mal qui ronge toute une partie de notre civilisation : contre l’ennui, le manque de projection, contre un avenir qui semble tout noir, contre le désœuvrement, contre le manque de reconnaissance, contre tout ça, j’ai l’impression de lutter. Humblement et de façon très limitée, forcément, mais en proposant une action qui pourrait en entraîner une autre, qui elle-même en entraînerait une autre plus importante encore, et ainsi de suite pour qu’au final notre monde change. En mieux. En plus intelligent (intelligible).

Peut-être avez-vous lu Olivier Roy ou Alain Bertho… Ils envisagent l’un et l’autre le jihadisme comme une figure de la révolte”. Je crois à ça à “l’islamisation de la radicalité plutôt qu’à la radicalisation de l’islam”. La formule avait fait mouche en moi à l’époque.
Les jours qui ont suivi 
les massacres (car n’oublions pas Montrouge et l’Hyper-cacher), j’étais Charlie. Sans aucun doute. Dans “Je suis Charlie”, c’était surtout le “Je suis” qui avait de l’importance. Le fait que nous tous soyons en vie, que nous tous soyons ensemble…

J’y ai cru à cette prise de conscience commune. J’y ai cru à cette envie générale de prendre nos vies et nos destins en main. Bien entendu, j’ai un peu tiqué en voyant comment cette marche de paix du 11 janvier allait être récupérée politiquement, comment certaines ordures (dictateurs mais pas que) qui dirigent notre monde allaient en profiter pour se faire un lifting d’image. Mais j’y ai cru.

Et aujourd’hui ? L’éducation ? La culture ? Un sujet (oui, l’éducation et la culture, ce ne sont pas deux sujets mais un seul) prioritaire ? Pfff ! Lisez les “programmes” de nos candidats aux présidentielles, c’est affligeant. C’est désolant. Amusez-vous (!) à compter combien de sujets passent avant. Comment parler sécurité, comment aborder le sujet de l’emploi (dans le mot même d’emploi il y a l’idée d’utilité, de mettre en œuvre une faculté afin de remplir une fonction) sans consolider ce qui me semble être la base de notre humanité : notre culture ? Oui, là aussi, j’emploie le singulier. Je ne parle pas d’une culture par rapport à une autre ; la Bretonne (jambon-œuf-fromage) par rapport à la Savoyarde (lardons-oignons-pomme de terre-crème fraîche-reblochon), par exemple. Convenons une fois pour toutes que nous avons en commun UNE culture. Celle de notre espèce. C’est elle qui nous différencie des animaux, ce n’est pas rien. Nous avons des formes d’expressions différentes selon les époques, selon les zones géographiques, selon notre environnement. C’est heureux. C’est riche ! Mais tout cela fait notre culture.

Ailleurs dans un opéra pour enfants, j’ai écrit :

C’est la folie qui fait de nous des hommes.
Le petit grain qui fait ce que nous sommes.
Cette folie, on l’appelle comme on veut :
Le petit grain, le rire, l’art ou le jeu
C’est par le jeu que l’art est arrivé.
Et c’est par l’Art que l’homme est né.
Oui c’est l’art qui fait de nous des hommes
Oui, c’est par l’art que le jeu devient forme
Si je dis « je », j’existe et je me nomme
Je suis artiste : je suis un homme.

(c’est plus joli en chantant)

Notre monde pourrait être beau, riche, serein si nous étions capables de jouir de cette culture diversifiée. Seulement, pour pouvoir en jouir nous devons être éduqués. Nous devons pouvoir entendre et comprendre ce qui nous entoure. Les héros d’aujourd’hui (John McClane semble désormais à la retraite), je le crois profondément et je défends cette idée depuis vingt-cinq ans, ce sont ceux qui nous aideront à voir ce monde dans sa totalité. Je veux parler bien sûr des artistes (d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs) et de leurs passeurs, qu’ils soient artistes eux-mêmes, professeurs, accompagnateurs (offrir un livre, emmener un ami au concert ou au cinéma…), interprètes, etc. Tout est bon pour changer le monde !

La grandeur de l’art véritable, (…), c'[est]de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus (…), cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l’avoir connue, et qui est tout simplement notre vie.
La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste.
(…)
Notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style pour l’écrivain aussi bien que pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation (…) de la différence (…) qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun.

Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune.

Grâce à l’art au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu’il y a des artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et qui bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont ils émanaient, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient leur rayon spécial.

Marcel Proust – À la recherche du temps perdu

(c’est encore plus fort dit par Dina, Isalys et Alma)

Alors, puisque 2016, il faut l’admettre, n’a pas été à la hauteur, nous avons du pain sur la planche pour 2017. Je vous souhaite à toutes et tous la meilleure année qui soit. Un espoir est (encore) possible. Agissons, éduquons, partageons… Vivons ! Par l’Art, nous recouvrerons notre Liberté.

 

 

Articles liés

Poster un commentaire