Le jeudi, c’est Léonie (5)

À quoi bon ?

Je ne comprends pas toujours le monde dans lequel nous vivons. Pendant des années, ça m’a beaucoup perturbé, voire déprimé. J’ai même l’impression que l’absurdité suit une courbe exponentielle. J’avoue lâcher parfois l’affaire. J’entends par là arrêter d’essayer de comprendre et tenter de m’en sortir autrement, par un peu d’humour par exemple, pour avoir l’impression de prendre un peu de recul.

Un soir, un de nos fils nous a sorti une phrase dont il a le secret :

Quand on est petit, le bonheur, on n’a qu’à le vivre : il est là, on le prend. Mais en grandissant, on doit le chercher. Il y a de plus en plus d’obstacles entre le bonheur et nous. Et je sens que plus je vais grandir, plus ce sera difficile.

On a essayé de lui dire que le bonheur était tout de même toujours à portée, en chacun de nous ; que son sentiment venait peut-être du fait qu’il commençait à avoir une conscience plus aiguë du monde qui l’entourait et donc qu’il découvrait des tas de trucs dont il avait été préservé jusque là, mais que notre rôle à tous était de réussir à profiter pleinement des choses belles qui s’offraient à nous, etc.
Ce beau discours a été reçu par une petite moue, des yeux au ciel et une petite phrase assassine du type “vous croyez à peine à ce que vous dites”.


Et pourtant si ! Mais c’est vrai, des fois, c’est compliqué. On pourrait avoir tendance à se laisser submerger par une vague de “à quoi bon ?”. Cette vague est un tsunami. Il est tellement difficile d’y résister. Son courant est si fort que ceux qui se laissent emporter ont tendance à vous conseiller de les suivre. C’est tout juste s’ils ne vous reprochent pas d’essayer de lutter. Quelle que soit l’action que vous organiserez, on vous soupçonnera d’avoir une raison cachée. Celle de vouloir partager paraissant trop insipide.

Ça frise parfois le ridicule, alors je ne résiste pas à donner un exemple : à La musique de Léonie, nous offrons en téléchargement quasiment toutes nos partitions pour chœurs de jeunes et les mp3 de travail correspondant. Eh bien on a entendu une équipe de professeurs développer l’idée que c’était par… cupidité ! Que proposer le matériel gratuitement était la preuve que nous étions dans une “démarche commerciale agressive”. Les bras m’en tombent.
J’ai plein d’autres exemples de trucs entendus par-ci par-là, certains sont rigolos mais il est inutile de vouloir régler ses comptes à tout prix.

Bref, il est parfois difficile de ne pas tout laisser tomber. D’autant que ceux qui aiment ces actions ne sont pas forcément aptes ou disposés à vous le dire. C’est dur, ça aussi pour qui propose une action publique. De ne pas avoir de retour. En ce moment, je propose une action dans plusieurs groupes : lors d’une première séance, on travaille un texte, à partir duquel on improvise des éléments musicaux, on les organise (com-poser) et ça donne le brouillon d’une chanson. Une fois chez moi, je retravaille, en essayant de ne pas trahir la production collective, et j’envoie deux mp3 finalisés : l’un avec ma voix accompagnée au piano, l’autre avec l’accompagnement seul afin que le groupe puisse faire sa propre version. J’ai calculé, et ça se vérifie cette année, seulement 5% des gens accusent réception et remercient de l’envoi. Je les relance pour savoir si un problème technique les aurait empêchés d’ouvrir les fichiers… et ils me répondent (TOUS !) qu’ils adorent la chanson et que c’est un projet super, etc.
Pourquoi ne pas avoir pris le temps d’envoyer un petit mot ?
– “A quoi bon…”

Oui, c’est peut-être parce qu’on pense que ça ne sert à rien de le dire quand on aime… Mais si !  Ça sert ! Au moins à montrer qu’on n’est pas tout seul. Ni celui qui envoie, ni celui qui reçoit. Qu’on partage quelque chose. Qu’on a quelque chose en commun. C’est important d’avoir des choses communes.

L’an dernier, je me suis aperçu d’un paradoxe : d’une part je me plaignais à droite à gauche du fait que la culture perdait du terrain, et d’autre part, je ne partageais que des conneries sur Facebook, outre quelques annonces de concert. Je me suis donc attelé pendant quelques mois à une publication quotidienne d’un morceau de musique (classique) que j’aimais particulièrement. Bien entendu, je ne faisais pas ça pour faire un éventuel buzz. Chaque publication devait générer 10 ou 20 likes à tout casser. Peut-être 30 les jours fastes. Mais lorsque j’ai écrit que j’arrêtais, j’ai reçu 96 messages privés, adorables, de gens qui me disaient à quel point ce morceau quotidien éclairait leur journée. 96, c’est beaucoup pour moi qui ne suis pas très connecté. Je pense ne pas me tromper en supposant qu’il devait donc y avoir au moins le double (ou même le triple !) de personnes qui ont trouvé dommage l’arrêt de ce petit rendez-vous. Mais aurais-je interrompu cette série si j’avais imaginé qu’elle pût plaire à autant de monde ? Je croyais qu’elle ne concernait qu’une ou deux dizaines de personnes… alors au bout de plusieurs mois, je me suis dit : “A quoi bon…”.

J’ai écrit il y a quelques années un petit article sur le fait qu’il ne fallait pas hésiter à aller féliciter les artistes après un concert. Un “bravo, félicitations !” ou un “merci !”, ne dérange jamais. Eh bien je pense qu’il ne faut pas hésiter non plus à partager et à faire connaître ce qu’on aime vraiment. Ce serait dommage que tout ce qu’on apprécie se fasse emporter par la vague “A quoi bon…”

À la musique de Léonie, nous avons une force : nous sommes plusieurs. Si l’un de nous commence à se demander à quoi ça sert vraiment tout cela, le reste de l’équipe est là pour lui rappeler et lui prouver l’utilité de l’action. Et nous le vérifions chaque semaine (j’avais écrit au départ chaque jour, mais c’est peut-être un peu exagéré. Avouons qu’il y a tout de même des jours sans…) : le week-end dernier, “La bibliothèque endormie” à St Jean de Braye. Un formidable échange avec les enfants du stage de Toussaint et un de nos ensembles d’adultes. La semaine d’avant : le show “Tout le monde écrit des chansons” qui faisait ses premiers pas à Paris. Début d’une aventure avec la compagnie Let it be qui co-produira le spectacle. La semaine d’encore avant, un magnifique moment émouvant, amical et artistique autour de l’Armagnac, la semaine précédente, dans le Nord, à Wissant avec toujours ce désir de mettre en commun des gens d’univers très différents, celle d’encore avant, à Chaliers, en Auvergne,où à l’issue du concert on a mangé le meilleur dessert de tous les temps, etc.

Comme vous le voyez, nous sommes bien loin de nous laisser emporter par quelque vague que ce soit. Car nous avons une conviction ferme : la vague… c’est nous ! Et elle est loin d’être aquoiboniste…

Par l’art, l’intelligence peut vaincre. Un espoir est possible.

 

Vous avez bien sûr noté le concert à Orléans le 24 décembre avec l’orchestre Inattendu ? Ne manquez pas ça, c’est Clément Joubert qui dirige…
Et si vous n’êtes pas à Orléans… eh bien, venez ! C’est l’occasion.

Passez de bonnes fêtes, et si par bonheur vous vivez un bon moment en famille ou entre amis, profitez-en bien et faites part de votre plaisir ! La vie est tellement plus jolie quand on le dit…

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2 Responses
  1. En exergue, votre belle phrase en forme de cadeau de Noël:

    CONCERNE … cet article Me Concerne , et, mon Passé
    Aujourd’hui créateur artistique, j’ai beaucoup aimé cette /votre phrase en forme de cadeau de Noël
    Pour le reste, vous parlez vrai, et, c’est là l’Essentiel
    Pour se sortir du guêpier que vous surligné, c’est long, et, parfois difficile ….très difficile: seul, c’est quasiment impossible !
    FORMACOLOR -artisticreator- 25 D2CEMBRE 2022 (3 heures du matin)

  2. Céline Blondeau

    Bonjour Julien
    Merci pour ces réflexions…
    Oui la critique est facile mais rares sont ceux qui disent juste bravo c’était bien…
    Continuons malgré tout, chacun à notre niveau , de proposer des instants inoubliables, instances, vivants…
    Je te souhaite à toi et ta famille de belles fêtes de fin d’année.
    Céline blondeau

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