Le jeudi, c’est Léonie (2)

J’ai toujours aimé les enquêtes.

Assez jeune, j’ai adoré les aventures d’Hercule Poirot et de Miss Marple. Le personnage de Sherlock Holmes aussi m’a enchanté. À la même époque, avec mon père, on allait régulièrement visiter des églises romanes et il nous asseyait mon frère et moi au pied des chapiteaux pour nous demander ce qu’on voyait. Parfois on distinguait à peine les personnages tant la pierre était effritée. Et puis tout à coup on devinait un âne ou un cavalier à terre, un serpent, un lion… et là, commençait l’enquête : qu’est-ce que ça raconte ?

On a joué à ça des années, devant des chapiteaux mais aussi devant des tableaux. Ou – un de mes meilleurs souvenirs d’enfance – devant des livres d’art. Je me rappelle que souvent Clément et moi nous mettions de part et d’autre de notre père dans un seul fauteuil (40 ans après, nous ne tenons pas à trois dans un canapé, je sais ; je préfère l’écrire avant que vous ne vous le pensiez) pour regarder les triptyques de Jérôme Bosch. Et là, on s’interrogeait, on rêvait, on s’émerveillait et on échangeait avec nos regards d’enfants sur des tas de questions existentielles.

À force, on choppait quelques indices : un pauvre gars transpercé de flèches : Saint-Sébastien ! Une dame sur une vache (un taureau) : l’enlèvement d’Europe. Mais à qui appartenait cette tête ? Saint Jean-Baptiste (et donc en face ce serait Salomé…) ou Holopherne (en face, donc ce serait Judith…) ?

Et puis avec le temps, le jeu a laissé place à l’émotion pure. Celle voulu par l’artiste plus que par le sujet qu’il traite.

Aujourd’hui, face à un tableau ou une sculpture, je crois que j’arrive – pas toujours mais la plupart du temps – à ressentir l’œuvre avant d’essayer de “faire l’enquête”. C’est ce qui me permet d’apprécier assez souvent l’art abstrait. Simplement, mon besoin, second maintenant, mais tout de même toujours présent, de comprendre le sujet me fait préférer malgré tout l’art figuratif. Quelques exceptions, sans
que je ne comprenne pourquoi (et je suis content que ces exceptions confirment la règle comme on dit) notamment avec l’œuvre de Kandinsky qui ne me lasse jamais sans que je ne sache pourquoi.

Grâce à l’exceptionnel Hector Obalk (allez voir son spectacle, réservez immédiatement pour la prochaine date, c’est vite complet), j’ai eu dernièrement un énorme choc en découvrant la peinture d’Eugène Leroy (c’est de lui la fleur tout en haut).  Je n’ai pas les mots, je ne suis pas assez savant pour parler d’un peintre aussi étonnant, mais inutile de taper son nom sur internet, les reproductions ne donneront rien, mais foncez voir une expo s’il y en a une ou allez au musée de Beaux-Arts de Tourcoing qui expose plusieurs de ses œuvres. Là pour le coup, c’est l’inverse qui se passe : la première seconde devant un tableau de Leroy est surprenante, on doit faire un tri, puis plisser les yeux, puis les fermer complètement, les ouvrir à peine pour finalement déceler une silhouette ou un paysage ou une fleur… pour que la figure nous apparaisse aussi clairement que si c’était une photographie (véridique !) et que nous nous interrogions sur notre perception des deux minutes précédentes. “étais-je fou pour ne pas voir cette fleur/ce poisson/cet arbre/ce nu” ? J’adoooooore !

Sur la poésie, je n’ai pas dépassé le stade de l’enquête. Et c’est ce qui me plaît. Enfin, pour être tout à fait exact, c’est d’abord parce que le poème me semble magnifique (même si parfois le sens m’échappe un peu) que je m’y arrête, mais je ne me satisferais pas d’un poème “beau à l’oreille” si je n’en comprends pas le sens. Bon nombre de poètes d’aujourd’hui me laissent complètement froid. Car immédiatement, après ce coup de foudre euphonique, je débute l’enquête. Quel est le sens véritable (ou les sens ?)  du texte ? Un livre m’a beaucoup plu sur ce sujet : Selon Mallarmé de Paul Bénichou. Je le conseille à tous ceux pour qui la poésie – et particulièrement celle de Mallarmé – reste une énigme. Dans cet ouvrage, Paul Bénichou nous montre comment dissiper l’obscurité créée par Mallarmé dans une quarantaine de poèmes sans abimer le moins du monde le secret.

Je ne sais pas exactement pourquoi j’ai voulu coucher tout cela par écrit aujourd’hui. Si ce n’est qu’il y a peu on m’a parlé de ma mise en musique de l’Ariette VI de Verlaine. “Votre mise en musique a éclairé pour moi le sens de ce poème qui restait obscur”.
Je ne suis pas sûr que ma musique permette d’expliquer ce que Verlaine nous dit à demi-mots, mais j’avoue avoir fait une enquête assez poussée pour comprendre et aimer passionnément ce poème, particulièrement le vers : “Voici que la nuit vraie arrive…”

C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui mord sous œil même du guet
Le chat de la mère Michel;
François-les-bas-bleus s’en égaie.

La Lune à l’écrivain publie
Dispense sa lumière obscure
Où Médor avec Angélique
Verdissent sur le pauvre mur.

Et voici venir La Rainée
Sacrant, en bon soldat du Roy.
Sous son habit blanc mal famé
Son cœur ne se tient pas de joie

Car la Boulangère… – Elle ? – Oui dam!
Bernant Lustucru, son vieil homme,
A tantôt couronné sa flamme…
Enfants, Dominus vobiscum!

Place! En sa longue robe bleue
Toute en satin qui fait frou-frou,
C’est une impure, palsambleu!
Dans sa chaise qu’il faut qu’on loue,

Fût-on philosophe ou grigou,
Car tant d’or s’y relève en bosse
Que ce luxe insolent bafoue
Tout le papier de Monsieur Loss !

Arrière, robin crotté! place,
Petit courtaud, petit abbé,
Petit poète jamais las
De la rime non attrapée! …

Voici que la nuit vraie arrive…
Cependant jamais fatigué
D’être inattentif et naïf
François-les-bas-bleus s’en égaie.

 

 

 

 

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