Géant !

C’était GÉANT !

J’ai bien du mal à trouver les mots pour raconter ce que je viens de vivre… Je me réveille tout juste, la tête encore pleine de l’opéra Tosca qui était donné hier soir au Zénith d’Orléans par la Fabrique Opéra Val de Loire. Je suis encore bouleversé de ma soirée.
Dans Tosca, on le sait il y a des morts. Plein ! Mais, honnêtement, ce ne sont pas les morts qui m’ont le plus bouleversé. Ce sont les vivants.
Des vivants, ce soir, il y en avait des milliers : sur scène, dans les coulisses, dans la salle, tout un Zénith ! Nous étions des milliers à vibrer ensemble. Des milliers à nous sentir vivants, sensibles… et, je crois, des milliers à nous être sentis grandis.

Oui, j’en ai une preuve absolue ce spectacle nous rend intelligents ! Je vais tout vous dire : j’étais assis juste devant un rang un peu compliqué, du moins, au début de la pièce. Voilà un petit florilège des âneries qu’ils ont sorties :

– Ceux qui s’endorment n’ont pas le droit de ronfler !
– Tu crois qu’on aura du champagne à l’entracte ?
– Dis, c’est en anglais ? Non, c’est en italien, ils nous avaient prévenus, je crois.
– Eh ! Philippe ! Toi aussi tu regrettes la soirée bowling ?”.

Je vous assure, ces quelques phrases ont réellement ponctué mon début de l’acte I… Je n’ai pas bougé. Pas fait une seule réflexion. Je me suis simplement retourné lorsque la fille derrière moi a fait une photo avec flash. Je n’ai rien dit parce qu’immédiatement je me suis laissé emporter par le spectacle auquel je faisais confiance à 100%. Et j’ai bien fait car dès la 2ème moitié de l’acte I, plus personne ne mouftais derrière. Et à la toute fin de l’opéra, une des jeunes femmes (il me plait de me dire que c’était la photographe, mais je n’en suis pas certain), est restée assise, la tête dans les mains en disant : “Je ne m’attendais pas à vivre ça”. Et son amie de répondre : “J’ai pleuré toute la fin”.
Et BIM !

Le premier responsable, évidemment, c’est Puccini, qui a su construire un drame au rythme implacable. Mais Puccini n’aurait pas pu lutter seul contre la soirée bowling. Il fallait avoir un truc en plus que l’on ne trouve quasiment nulle part ailleurs : il fallait savoir – et comprendre ! – que certains, a priori, auraient peut-être préféré cette satanée soirée bowling… C’est ça la force de la Fabrique Opéra.

Alors, tous (chanteurs, instrumentistes, techniciens, etc.)  visent directement au cœur, par souci d’efficacité. Et la mise en scène de Didier Girauldon est d’une clarté inouïe. Tout en simplicité, comme une évidence. Si jamais il y a un obstacle à la compréhension, un moment que l’on pourrait ne pas saisir, un élément important à bien fixer pour qu’on suive l’intrigue, un narrateur nous glisse deux ou trois phrases l’air de rien, pour nous guider, ou on projette quelques mots dans un petit espace dédié, au dessus de la scène. Côté public, on se détend, on se laisse aller, et on comprend tout. Alors on profite !

Il est affreux ce mot, “on profite !”. Souvent on l’associe avec une attitude un peu avachie et passive. “Ce week-end, on profite !” (avec un méga risque de s’ennuyer à mourir). Là, on profite, oui, mais on ne peut pas dire qu’on ne soit pas actif. On s’extasie sur les décors (travail admirable sous la direction de Ludovic Meunier !), sur les costumes (pareil, ils paraissent tellement évidents, on n’imagine pas un instant tous les choix que Paula Dartigues a dû faire tellement on est sûr qu’il ne fallait absolument pas faire autrement), sur les voix, incroyablement claires, naturelles, on en oublie presque que ce que les solistes font est extrêmement difficile. Ils nous font oublier la virtuosité au bénéfice du personnage et de l’émotion. J’y ai tellement cru que, lorsque Scarpia a souri pendant les saluts, j’ai pensé “ouf, il ne leur en veut pas !”. (Parce que dans l’histoire, c’est pas pour dire, mais il n’est pas très gentil et il fait très très très peur…).

J’ai évidemment un regard très tendre pour la maîtrise de Léonard et pour le chœur opéra de la musique de Léonie, tous deux dirigés par Corinne Barrère qui ne cesse de m’impressionner au fil des années. Les deux chœurs sont tout simplement parfaits. Je savais qu’ils avaient peu à chanter… mais ils sont quasiment toujours là, dans un coin, en fond de scène, dans la salle parfois. Pour nous, dans le public, c’est magnifique de croiser et recroiser tous ces choristes, scène après scène, ça nous permet de nous investir encore plus dans l’histoire car lorsque le chœur est présent et qu’il réagit, en témoin à l’action centrale, nous sommes alors dans le même rôle que lui. Nous nous sentons donc encore davantage impliqués. Et c’est autant d’occasion pour qu’ils nous communiquent leur bonheur d’être là, leur plaisir de jouer.
Je ne cache pas que j’ai eu plusieurs grosses émotions dans les moments du chœur et de la maîtrise : Fin du premier acte, tellement IMPRESSIONNANT ! (je n’en parle pas plus pour ne rien spoiler) et le magnifique solo du petit berger. Je l’ai écouté très attentivement, mais j’ai pleuré tout du long, bravo et merci Léanie. Je suis tellement content de venir écouter Élisa ce soir… (les enfants changent à chaque représentation car c’est très éprouvant comme semaine) !

Et l’orchestre ! L’ORCHESTRE ! Non mais ??!??? Allo, quoi ? L’orchestre ?!? J’avoue avoir été ébloui.
Bon, un point important à noter : la sonorisation est extraordinaire (oui dans un zénith, c’est forcément sonorisé). Étonnant de naturel ! Stupéfiant.

Mais le plus fort à mon sens, le plus émouvant c’est que chaque musicien semble maitriser l’entièreté de la partition. Pas seulement sa partie, vous comprenez ? Chacun sait évidemment jouer ce qu’il a à jouer, mais chacun sait aussi ce que les autres jouent et quelle est la fonction précise de ce qu’il a à jouer. C’est rare. Tellement rare ! On aurait dit un groupe de musique de chambre. Tout semblait limpide.

Sauf qu’un groupe de musique de chambre, la plupart du temps, c’est sans chef. Et là, magie de cette disposition où l’orchestre n’est pas en fosse : on peut tout voir, tout vivre, tout sentir de la direction magistrale de Clément. Il vit la musique de Puccini comme si elle avait été écrite pour lui. Il incarne chaque note, fait ressortir les finesses de composition avec une dextérité déconcertante. J’avais promis de ne pas écrire à nouveau que c’était un génie. On m’accuse après de manquer d’objectivité.
Mais là, sérieusement. Vous avez un autre mot ?

Je connaissais un peu la partition, je croyais connaître Puccini, auquel je reconnaissais un immense talent, mais sans le mettre dans la catégorie des “géants”.
Grâce à cette interprétation éblouissante, j’ai changé d’avis.

Hier soir, nous étions entourés de géants. Et comme tout ce que ces géants proposaient semblait facile d’accès, je suis sûr que nous sommes des milliers à nous sentir déjà un peu grandis.

Merci à toute l’équipe de la Fabrique Opéra Val de Loire !

 

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