Le jeudi, c’est Léonie (30)

Musique intime…

Je suis bien content, Alpha Classics vient de mettre à jour ma page sur leur site (la photo est signée Julien Hanck) :
//outhere-music.com/en/artists/julien-joubert

Depuis cette page, vous pouvez accéder gratuitement aux trois derniers disques consacrés à ce que j’appelle parfois ma “musique intime”. Il suffit de cliquer sur l’album de votre choix, puis de cliquer sur Download/Streaming, vous choisissez votre plateforme préférée (la plupart propose un service gratuit, inutile d’avoir un abonnement) et hop !

Il y a dans ces trois disques (et un quatrième – consacré à Charles Péguy – est bientôt en ligne !) une sorte de vérité, quelque chose d’enfoui qui n’a pas eu besoin d’un destinataire pour voir le jour. Quasiment chaque plage de ces disques s’est imposée à moi et j’ai senti qu’il m’était nécessaire de coucher sur le papier cette musique alors que la plupart du temps, j’écris “sur commande” : une structure souhaite voir la création d’une nouvelle pièce musicale pour tel ou tel événement, on se met d’accord sur le thème, la formation instrumentale ou vocale, la durée, le tarif, et on établit un cahier des charges et je dois, tel un artisan, répondre à la commande.

N’y voyez là rien de dégradant ou de honteux. Pendant très longtemps, les artistes ont été considérés comme des artisans. Leurs productions devaient servir des événements précis. Bach se devait d’écrire sa cantate hebdomadaire, Mozart devait livrer à une date précise une série de concertos ou de quatuors, etc.
Au XIXe siècle, les choses commencent à changer : l’artiste prend un peu la grosse tête et commence à réussir à se faire passer pour une sorte de surhomme qui parfois même pourrait peut-être servir de lien entre telle ou telle divinité et les pauvres mortels. Mais pour être considéré comme artiste, il fallait, à l’instar des Compagnons du tour de France (qui se revendiquent artisans pour le coup)  produire un ou plusieurs chefs-d’œuvre. Les choses changent encore et s’inversent presque dans le courant du XXe où là, c’est parce que c’est un artiste, il nous fait des chefs-d’œuvre. Je caricature, bien entendu, vous aurez compris.

J’aime assez me sentir artiste/artisan et devoir répondre à un cahier des charges précis. C’est l’occasion pour moi de sortir un peu de ma zone de confort (que cette expression devient à la mode !) et de devoir répondre à des problématiques inconnues. Mais il est aussi assez grisant de devoir (à la relecture, j’ai failli corriger en « pouvoir » mais c’est bien plus fort que ça. On ne peut pas résister à cette puissance intime) lâcher prise et se sentir poussé par une force interne plus forte que sa propre conscience.

//outhere-music.com/en/albums/julien-joubert-cueillez-votre-jeunesse-ronsard

Parfois, rarement mais quand c’est le cas, c’est formidable, une commande peut correspondre à un désir déjà présent. Ce fut le cas pour mes Ronsard. Alors que je lisais ses sonnets et que je travaillais à la mise en musique de quelques-uns, la ville de Blois me fait une commande pour un chœur de collégiens et de CM2. Je propose immédiatement une pièce sur Ronsard (c’est au Château de Blois que Ronsard rencontra Cassandre) qui inclurait mes poèmes mis en musique. Bingo !
Quelle émotion de faire chanter à ces jeunes ces si belles poésies qui auraient pu paraître trop complexes au premier abord, mais qui, par la mise en musique et par l’histoire drôle et émouvante de Gaël Lépingle qui les relie a réussi à séduire petits et grands tout au long du projet.

//outhere-music.com/en/albums/joubert-vous-ne-saurez-jamais

 

Ce n’était pas du tout la même chose pour le disque Vous ne saurez jamais…Ce cycle de mélodies pour chœur, intitulé Tombeau, je l’ai écrit en 2007, à la mort de mon ami Toni Ramon. Eh bien pendant quasiment 10 ans, seule Mme la Fée connaissait l’existence de ces mélodies. Je me les chantais une fois la journée terminée, alors que j’étais seul dans mon bureau. Puis je rangeais la partition sans savoir si un jour j’en ferais quelque chose.
Et puis, le temps est venu du partage et de la transmission et j’aime imaginer que le travail de deuil que m’a aidé à faire cette composition puisse être désormais fait par quiconque, inconnu de moi, qui trouverait dans ce cycle une forme de réconfort pour faire face à une situation analogue.

//outhere-music.com/en/albums/joubert-ariettes-oubliees

C’est presque pareil avec mes Verlaine. J’ai écris les Ariettes oubliées à 22/23 ans. À un moment où les vers de Verlaine résonnaient en moi comme les cloches de Notre-Dame. Ne sachant que faire des ces compositions, je les déposais dans le casier de mon ami Toni (encore lui ?). Aucun plan, aucun projet de concert a priori, et puis les choses se sont enchaînées, création, premier enregistrement en 1997 avec le chœur de jeunes que Toni dirigeait au conservatoire d’Orléans et puis édition, diffusion. Aujourd’hui, je suis très fier que ces Ariettes soient si souvent travaillées par des chœurs professionnels ou amateurs. Pour Aquarelles (le cycle d’après, sur le même CD), c’est grâce à l’impulsion de Nathalie Bouré, qui dirige l’ensemble Coup de chœur à La Rochelle que ce projet (que j’avais en moi déjà à l’époque où j’écrivais les Ariettes) a pu voir le jour. Une commande, oui, mais pour laquelle le cahier des charges était totalement vierge (mis à part les éléments techniques lié à la composition du chœur). Ce travail m’a permis d’assumer et d’affirmer “ma simplicité” dans la composition.

Depuis ces enregistrements, j’ai beaucoup composé. Pas mal d’œuvres de commandes, dont certaines, je le sais, vont m’accompagner longtemps, mais aussi un certain nombre d’œuvres “plus fortes que moi”. Des œuvres dont j’ai senti en les écrivant qu’elles me dominaient complètement.

Je pense par exemple à mon cycle Spleen et Idéal à partir du premier volet des Fleurs du mal de l’immense Charles Baudelaire. 25 mélodies toutes plus déprimantes les unes que les autres (je les ai écrites pendant le confinement). Ou encore Mort d’un personnage, un cycle pour baryton et petit orchestre d’après le très beau livre de Giono. Ou encore notre Antigone, à Hugo Zermati et moi. Un projet que je porte en moi depuis 30 ans (!!!) et qui verra peut-être le jour en 2025.

Je n’ai aucune idée de ce que je ferai de ces œuvres. Un jour, un coup de sang me prendra, et je déciderai peut-être de les enregistrer. Alpha Classics acceptera peut-être encore de me les éditer, et peut-être que vous aurez plaisir à les recevoir. Qui sait ?
Pour l’instant, les partitions sont bien rangées dans ma bibliothèque. Je ne dis pas que ça ne me démange pas de les relire, les retravailler un peu, en chanter des extraits parfois, voire d’en diffuser ça et là quelques extraits, mais je sais qu’elles sont pour l’instant à moi. Presque à moi seul. Comme des petits cadeaux de mon moi profond à ma conscience.
J’aime bien… c’est ça ma musique intime.

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Et bien sûr, comme tous les jeudis, nous continuons notre cycle “Un an de chansons” autour des poèmes de Jean-Luc Moreau. Cette semaine…

Chanson – Il te faut…

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