Ce matin, je n’ai rien souhaité écouter tellement j’étais encore dans l’émotion – dans LES émotions – du West Side Story de la Fabrique Opéra Val de Loire, dont la première était hier. 

Allez, j’ai tellement aimé le spectacle que je peux faire une confidence : au départ, il y a plusieurs années, lorsque Clément m’a dit « on fera West Side », je n’ai pas sauté au plafond. En tout cas pas aussi haut que tous les autres sautaient. Et rien à voir avec ma corpulence (j’entends déjà les petits moqueurs affûter leur vanne).

Bien entendu, je savais que Clément arriverait à faire un truc top (mon frère est un génie, ça c’est entendu) mais West SideWest Side Story ??!?  Le top du top de la comédie musicale ! L’œuvre qui à mon sens relie le mieux musique savante et musique populaire, celle dont l’adaptation cinématographique (le film de 1961) a eu 10 oscars !

La Fabrique Opéra Val de Loire ne s’est attelée, depuis sa première édition, qu’à des chefs-d’œuvre. Le résultat, chaque année est éblouissant de beauté et d’intelligence. Mais une chose m’est apparue avec ce projet Bernstein, une chose que je ne m’étais jamais formulée : si la production s’était plantée (ce qui n’a pas été le cas, on est d’accord !) avec la Traviata ou  La flûte enchantée ou encore Carmen ou Faust… on aurait tout de même dit que c’était admirable de « démocratiser » l’opéra. C’est vrai 12 000 spectateurs chaque année pour aller écouter Mozart, Bizet, Verdi, Gounod… c’est déjà quelque chose qu’il faut applaudir.

Mais West Side… ? À quoi bon vouloir démocratiser une pièce dont le film (mythique) est disponible en ligne pour quelques euros ?

C’est une prise de risque qui m’était apparue immense. En tout cas, je sais que je n’aurais jamais osé. 

J’avais tout faux. Je n’avais pas pris la mesure de la force de l’équipe. 

C’est normal, « l’équipe » c’est quelque chose qui nous échappe un peu car nous ne sommes conviés généralement qu’à ce que ses membres acceptent de dévoiler : le spectacle bien sûr, et quelques moments plus ou moins volés à travers des photos des coulisses sur les réseaux, le sourire des uns et des autres à la fin ou encore les cris de joie qu’on peut percevoir de la salle une fois que tout est terminé. 

Là, dans cette production, la joie partagée par chacun des membres de l’équipe est tangible dès les premières notes. Et je dirais même, dès qu’on pénètre dans la salle. Il m’a semblé qu’il flottait comme un parfum de légèreté dans le Zénith. Peut-être parce que le Théâtre (avec une majuscule), temple de l’illusion, est le seul endroit où l’on s’autorise à être léger et heureux… tout ce monde du spectacle serait donc finalement essentiel ? Je m’égare… 

Lorsque le spectacle commence, pour la première fois de ma vie, je crois, je me suis mis à rire de bonheur. À la fois ébahi par la chorégraphie (je n’en reviens pas du talent de Johan Nus. Il arrive à allier virtuosité et nécessité. C’est tellement rare !) et le talent de ces artistes qui savent chanter, jouer la comédie et danser comme rarement j’ai vu. D’autant que, la disposition de la salle est telle qu’on a l’impression (au Zénith, c’est quand même un comble) qu’on est tout près d’eux. Qu’ils dansent quasiment sur nos genoux ! (Ce qui est impossible car, nos genoux sont déjà sous le siège de devant).

Ce rire de bonheur se transforme facilement en larmes de joie puis d’émotion. La scène avec les enfants est d’une rare beauté. Et, vous connaissez mon objectivité, je ne dis pas ça parce qu’il y a mon fils qui joue dedans.

J’étais tellement pris dans le spectacle, que j’en ai oublié tout ce que j’en savais ! Oui, en écrivant ces lignes, je le crois à peine moi-même, mais j’avais même oublié les coups de couteaux ! (pour ceux qui hurleraient à l’idée que j’en dise trop, il suffisait de regarder l’affiche pour se rappeler que le cran d’arrêt n’était pas loin.

A l’entracte, en plaisantant, je disais « espérons que tout s’arrange à la fin »,  je pense même que j’y croyais un peu…

Les acteurs, les chanteurs, les danseurs, l’orchestre, le chœur… tout est magnifique. Maîtrisé mais avec des prises de risque inouïes : que ce soit un pianissimo à la limite du timbre chez les solistes (qui savent tous exactement utiliser leurs nombreux points forts), ou un cri déchirant lancé pile au bon moment afin de faire frémir la salle entière ou encore les mouvements du chœur qui m’ont souvent transporté. Au passage, je n’en reviens pas de voir les choristes du chœur opéra aussi impliqués dramatiquement même lorsqu’ils ne chantent pas. Bravo ! 

On rit souvent grâce au chœur, par exemple lorsque certains sont serrés sous le lampadaire et repartent aussi vite qu’ils sont arrivés, mais les moments les plus incroyables sont ceux qui sont émouvants. À deux reprises notamment, c’est sublime. Réellement. Je pense notamment aux mouvements géométriques qui empêchent Tony et Maria de… Chut ! Là, je risque de spoiler.
Pour la peine, je vais dévoiler quelque chose de secret : après chaque séance de travail (ou même chaque représentation), Corinne Barrère, cheffe de chœur envoie un mail interminable (généralement vers 2h du matin, le temps de le rédiger) dans lequel elle dénoue tous les nœuds qui ont pu se faire pendant la répétition. Rien n’est oublié. Ni la faute de note, ni l’erreur de mise en scène, ni même l’attitude durant les saluts… J’ai beau avoir le bonheur de travailler avec Corinne depuis 15 ans, elle ne cesse de m’impressionner.

La finesse et le souci du détail sont partout. Le chef policier (joué par Hugo Zermati) est autant ridicule et drôle qu’il est terrifiant. La scénographie est d’une rare efficacité (je suis content d’avoir acheté des places pour les quatre représentations car il y a de la magie dans les petites modifications qui se font pourtant à vue).

West Side Story, c’est l’histoire d’un immense gâchis. Et, alors qu’on comprend que nous nous approchons du dénouement, il est tellement bon de se reconnaître dans le personnage de Doc, le patron du bar (joué par Mathieu Jouanneau) bouleversant d’humanité. Finalement, lui, c’est nous. Il ne chante pas, il ne danse pas, il reste là, impuissant et triste à voir cette jeunesse qui se déchire pour des conneries.

Mais tout de même. Lorsqu’on a compris que c’était la fin de la pièce. Qu’on a été saisi par l’oeuvre (et sa réalisation parfaite). On a tout de même un petit goût amer :
Où est passé le bonheur et la légèreté qui nous avaient accueillis au départ ? Ces rires, ces larmes de joie, qui m’avaient submergé au début, tout cela a donc disparu ?

Au moment où j’ai essayé de reprendre ma conscience, de retrouver la réalité, « Là c’est à toi de jouer, me suis-je dit, ton boulot de spectateur ravi, c’est le moment d’applaudir », je n’ai pas réussi. J’étais transi.

Mais c’était sans compter le génie (oui ! Mais je reste objectif. Si vous étiez là hier, je sais que vous pensez comme moi) de Gaël Lépingle qui malgré nos trente ans (et même un peu plus) de collaboration a réussi, là, à me surprendre au delà de tout !

À la fin de ce West Side Story, alors que plus un seul mot ne sera chanté ou même prononcé, après nous avoir prouvé que Rien n’est plus fort que le théâtre — un peu comme Tarantino nous prouve dans de nombreux films que le cinéma est toujours plus fort que la réalité — après avoir réussi à nous happer et nous sortir de notre quotidien, Gaël nous permet à nous, spectateurs, de pénétrer l’aventure extraordinaire qu’est la production d’un opéra avec la Fabrique Opéra Val de Loire.

La toute fin est d’une beauté renversante. Je pense que je n’avais jamais vécu un moment pareil. Je serais bien incapable de le décrire, je ne suis même pas sûr qu’il sera palpable en regardant la vidéo. 

Ce qui se passe à la fin, c’est la victoire de la réalité :

“On ne vous a pas simplement raconté une histoire, vous n’avez pas simplement assisté à un spectacle. Vous avez participé à une aventure humaine hors du commun. Vous avez pénétré l’univers intime et réel de la production”.

Ce que nous offre la mise en scène de Gaël, c’est le partage illimité d’une conviction profonde que Clément Joubert a réussi à ancrer en chacun des membres de cette folle aventure : “L’ambition peut être immense et même, elle le doit. Tous ensemble nous en avons les moyens.” 

Vous n’imaginez pas mon bonheur d’avoir réservé des places pour les trois représentations à venir. Finalement, c’est vrai. Notre monde court peut-être à sa perte mais… un espoir est possible. Merci à tous !

Julien Joubert

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