Le jeudi, c’est Léonie (22)

Au boulot !

C’est une drôle de période le printemps, dans mon emploi du temps : c’est le temps des concerts, moments forts en émotions, et c’est aussi le temps de se mettre à l’écriture des œuvres à venir.

J’ai toujours un peu de mal à amorcer ces semaines charnières pendant lesquelles je dois vivre une sorte de double temporalité qui fait pourtant le sel de mon métier. C’est finalement un cycle bien naturel et salutaire que je sais apprécier une fois le rush derrière moi.

Les concerts, les spectacles de fin d’années, c’est la fin d’une aventure. Parfois humble, mais toujours humaine, avec des équipes avec lesquelles un joli climat de confiance s’est joliment créé. Certains pourraient devenir des amis (c’est le temps qui le dira). Il y a plusieurs groupes d’enfants que je sais ne jamais oublier de ma vie. J’avoue même les croire lorsqu’ils me quittent en promettant de ne jamais oublier notre projet. Forcément, c’est un peu comme la fin des vacances. On promet de se revoir, de rester en contact…

Dans le même temps je multiplie les réunions, les coups de téléphone avec de nouveaux partenaires. Forcément, les équipes en face, sont inquiètes. Elles vont se lancer dans un projet qui va leur demander de l’énergie, du temps, de l’argent… Je les rassure en disant que tout va aller très bien, ça va être un top projet, etc. Mais au fond, j’avoue, moi aussi, je doute (j’imagine ceux d’entre-eux qui lisent ces lignes !)…

Est-ce que je sais encore écrire de la musique ?
Est-ce que j’en ai encore le goût ?

Et si tous ceux qui durant toutes ces années m’ont lancé des “À quoi ça sert d’écrire ça aujourd’hui ?” (c’était à propos de mes Ariettes oubliées) ou bien ceux qui m’ont lancé que je n’étais “pas légitime” finalement avant de me retirer tout simplement d’un projet, ou encore celui qui pour me prouver que son supérieur était incompétent me dit “qu’il n’a même pas l’idée de monter autre chose que du Julien Joubert !” (il savait qui j’étais, c’en était ridicule mais tout de même bien entendu très violent). Et si tout ceux-là avaient raison ?
Bon, très honnêtement, mon doute ne dure jamais plus que le temps d’un café, d’une bière ou d’un verre de vin blanc (ça dépend l’heure, en fait). Je balaye le souvenir de leurs phrases et je range ces gens-là dans la catégorie “délinquants relationnels”. Juste à cause de leur manque de tact. Le contenu de leurs phrases, je n’en fais même pas cas.

En vérité, ce sont d’autres phrases qui me font profondément douter. Celles qui sont gentilles et qui viennent de gens bienveillants. C’est paradoxal, je sais. Mais les “Je ne m’inquiète pas, avec toi, ça va être formidable, j’en suis sûr(e)” dit par la seule personne de l’équipe qui a réussi à convaincre tous ses collègues de travailler avec moi sur un gros projet me met une pression énorme.
Ou bien ceux qui louent bien plus que de raison des trucs qui m’ont demandé assez peu de temps : la composition de Pâte à crêpes, par exemple, (qui, oui, j’ouvre une parenthèse, semble être le seul morceau de moi que France Musique ait envie de passer ; si vous travaillez à la radio ou si vous y connaissez quelqu’un qui y travaille, pourriez-vous souffler à ceux qui programment que mes Verlaine, mes Yourcenar, mes Ronsard, mes Péguy… sont trouvables sur les plateformes et sont très bien aussi ?, je ferme la parenthèse), ou ceux qui s’exclament “C’est génial !” parce que j’ai transposé L’air du froid de Purcell en Air du frigo. L’idée est rigolote, c’est vrai, ça permet à des tas d’enfants d’écouter du Purcell mais j’ai fait des trucs bien plus forts je pense. Même sur le terrain de la transcription.
Par exemple :

Donc, voilà, en ce moment, j’ai une double vie : celle de celui qui part, sous les bravos et les hourras, et celui qui arrive, qui découvre, toujours accueilli avec bienveillance, mais avec cette petite part de doute de part et d’autre qui, je m’en aperçois en écrivant ces mots, me titille pas mal et me force à m’interroger réellement afin que chaque composition soit vraie, incarnée, assumée et livrée aux interprètes avec le plus grand bonheur et la plus grande honnêteté.

J’ai une chance énorme : mes œuvres sont beaucoup jouées, beaucoup chantées, par des jeunes, des moins jeunes, des amateurs, des professionnels… Je ne suis pas toujours au courant (je le regrette parfois un peu, n’hésitez pas à m’envoyer vos captations), mais je sais que tels des enfants qui prennent leur autonomie, mes pièces vivent leur vie pour le bonheur (j’espère !) des grands et des petits…

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Et bien sûr, comme tous les jeudis, nous continuons notre cycle “Un an de chansons” autour des poèmes de Jean-Luc Moreau. Cette semaine, un conseil… de taille. Suivez-le scrupuleusement, ça fonctionne !

Charme c’est-à-dire poème à l’usage des tout petits garçons qui veulent se faire acheter du nougat

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